Le terme bioéthique s’est vu attribuer, au cours des années, une multiplicité de significations. D’après Van Rensselaer Potter qui l’introduisit en 1970, il devrait désigner une science globale de la survie. Selon d’autres auteurs, la bioéthique serait, ou devrait être, une sorte de forum multidisciplinaire où l’apport de chacun resterait plus ou moins juxtaposé à la contribution des autres. Aucune de ces définitions ne correspond, en fait, à l’usage qui est communément fait aujourd’hui du terme.
Bien qu’elle soit sans doute trop étroite, à certains égards au moins, on pourra partir d’une définition du terme bioéthique, proposée par Gilbert Hottois, qui est mieux adaptée au contexte actuel. Selon cette définition, le terme désigne un ensemble de recherches, de discours et de pratiques, généralement pluridisciplinaires, ayant pour objet de clarifier ou de résoudre des questions à portée éthique suscitées par l’avancement et l’application des techno-sciences médicales.
A la suite notamment du développement rapide des techno-sciences médicales, à la suite encore des recherches sur la génétique humaine et sur l’embryon humain, un ensemble de questions nouvelles se posaient qui dépassaient à la fois le cadre et les catégories de la classique éthique médicale et ouvraient des espaces inconnus à la réflexion éthique sur la vie et la santé humaines. En raison de leur nouveauté et de leur acuité, elles prenaient un caractère d’urgence sociétale. En voici quelques-unes:
- A partir de quel moment un traitement de survie prodigué à un malade terminal constituait-il un inacceptable acharnement thérapeutique?
- Dans quelle mesure l’interruption de ce traitement équivalait-elle à une option pour l’euthanasie?
- Dans quelle mesure l’usage – non soumis à une discrétion absolue – des tests génétiques prédictifs pouvait-il avoir des conséquences humainement inacceptables?
- Le brevetage des gènes humains et de lignées de cellules souches humaines était-il acceptable dans une optique éthique?
- Quelles pouvaient en être les conséquences sociétales au niveau mondial?
Ces questions suscitaient un réel désarroi pour quatre raisons au moins qui n’étaient pas sans connexion entre elles.
- D’un côté, nous venons de le voir, elles faisaient éclater le cadre des approches classiques de l’éthique médicale et, parfois, ceux de l’éthique tout court;
- d’autre part, ces questions étaient souvent complexes au point que tout effort de solution mettait en cause des compétences multiples;
- en troisième lieu, comme les sociétés contemporaines évoluaient vite, de nouvelles valeurs, ou des valeurs accédant à un rang hiérarchique nouveau, entraient en conflit avec d’autres valeurs et de nouvelles exigences normatives. Le poids accordé à l’autonomie de l’individu est caractéristique à cet égard et notamment le rôle qu’il a joué (et joue) tant dans le débat concernant l’euthanasie que dans les questions qui ont trait au consentement libre et éclairé des malades et des personnes prêtant leur corps à des recherches;
- en quatrième lieu enfin, les sociétés contemporaines étant parcourues par des clivages culturels de plus en plus marqués, il devenait très difficile de se mettre d’accord sur l’ensemble des nouvelles questions éthiques et sociétales concernant la vie humaine. Cette difficulté semait le désarroi.
Dans l’urgence sociétale de décisions acceptables à une majorité de citoyens, l’avènement – et par la suite l’institutionnalisation – d’un nouveau discours, celui de la bioéthique, était pertinent. Etait pertinente, dans ce contexte, la mise en place progressive de comités d’éthique.